Nous sommes de ceux qui mettent mal à l'aise en public.
T'en as pas vu assez ? Et arrête de m'regarder comme ça.
Chap. One.Des cris résonnent, déchirant la pénombre dans un écho alarmant. Tu tâtonnes à côté de toi jusqu’à trouver l’interrupteur de ta lampe de chevet. Tu attrapes ta montre & grimace. 4h30… Du matin.
Aucune réponse. Tu grognes avant de repousser les couvertures dans un soupir las et éteint la maigre lampe pour aller éveiller la plus grosse, créant un halo lumineux & rassurant dans la pièce exiguë qui te sert de chambre. Tu quittes la pièce sur la pointe des pieds & rejoins la chambre d’où le bruit de pleurs provient. Tu attrapes le bambin dans tes bras, faisant preuve d’une délicatesse bien rare et retourne dans le couloir, plongé dans l’obscurité.
Murmures-tu quelques fois, serrant l’enfant tout contre ton cœur. Tu es âgée de 14 ans… Et cette nuit n’est qu’une preuve flagrante de ta vie. Aînée de six enfants, tu dois pallier à l’absence de ta génitrice, bien trop occupée à bosser de nuit, & de ton père qui vous a quitté à la naissance de la petite dernière. Il avait des choses à faire, avait-il dit. Il reviendrait vite… Tellement que vous ne vous rendriez pas compte de son absence. Ca avait eu lieu un an auparavant, et tu étais depuis lors amère à son sujet. Tu refusais d’ailleurs d’en discuter avec ta mère, n’acceptant que de mentir à tes frères & sœurs pour apaiser leurs cœurs meurtris de ne jamais avoir connu de figure paternelle, ou trop peu de temps. Le truc, c’est qu’il y avait un écart assez grand entre toi & le reste de la fratrie. Ils avaient enchaînés les enfants lorsqu’ils s’y étaient remis. En dessous de toi, il y avait Dwayne. Charmant bonhomme de 7 ans, il était la figure virile de la famille. Ensuite, il y avait Eliott, 5 ans, puis Tabatha & Trisha, les jumelles de 3 ans. Et pour finir, il y avait eu Willow, 14 mois.
La vie n’était pas aisée. Entre les cours, tu devais aller chercher tes frères & sœurs lorsque ta mère était trop occupée à faire des heures supplémentaires. Il n’était d’ailleurs pas très rare que tu loupes quelques heures pour t’occuper de ta fratrie. Mais l’administration de ton établissement comprenait ta situation & s’en trouvait indulgente. Tu soupires. Comme toute personne, surtout pendant l’adolescence, un rêve hante ton cœur, le faisant battre dans l’espoir fugace & absurde qu’il ne se réalise. Comment aurait-il pu ? Tu ne quitterais jamais cette famille qui te demandait tant & ne t’offrais que peu. Mais une partie de toi refusait de renoncer. Tu seras danseuse étoile, professionnelle. Et tu seras magnifique. Tu te produiras aux Etats-Unis, pays des rêves. Mais pour ça fallait-il encore pouvoir partir… Et tu te sentais pieds & poings liés.
Les braillements diminuent progressivement de volume jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien qu’un souffle lent & un tantinet rauque. Tu embrasses le front de ta jeune sœur & retourne la mettre dans son lit avant de t’engouffrer, toi aussi, dans le tiens. Tu sais que cette nuit est loin d’être terminée, et que tu devras encore te lever quelques fois sans aucun doute. Mais c’est ton quotidien, et tu acceptes ce sacerdoce avec humilité.
[…]
Le réveil sonne. Ton cœur palpite, battant frénétiquement alors même que tu ne fais qu’ouvrir les yeux. Aujourd’hui… C’est le début de la fin. Tu as 18 ans… Et rien n’a changé. Si bien sûr, tes frères & sœurs sont plus âgés. Dwayne a 11 ans et est maintenant davantage en mesure de s’occuper des plus jeunes. Mais ta détermination n’a aucune faille, & elle brille dans tes prunelles claires. Tu jettes un coup d’œil à l’heure. 8h30. Et il est… Samedi. Autrement dit, personne ne viendra te déranger pendant la discussion que tu rêves d’avoir avec ta génitrice. Tu descends les marches quatre à quatre, essayant de faire le moins de bruit possible. Pourtant, tu n’entends rien à part les battements excités de ton myocarde, qui bourdonne dans tes oreilles. Ta mère lève les yeux du journal lorsque tu arrives, et dans ses yeux brille de l’agacement. Tu fais la moue, baissant les yeux sur le carrelage qui refroidit tes pieds nus & t’avance, les bras ballants.
« Equinoxe, fais moins de bruit s’il te plaît. Tu vas réveiller les petits… Et j’espère avoir le temps de souffler encore une petite heure. »
« Oui maman. Désolée. » Tu marques une pause. Ton estomac est contracté sous le stress qui empoisonne tes veines. Tu t’assois à la table & joue avec le bouchon d’une bouteille. « J’aimerais te parler de quelque chose… »
Ta mère, qui s’était déjà replongée dans sa lecture, lâche alors le feuillet pour te consacrer toute son attention. Tu le sais : Elle a deviné ce dont tu voulais parler. Elle lisait toujours en toi comme dans un livre ouvert. Et l’appréhension ne fait que brûler davantage ta détermination. Tu déglutis & inspire lentement avant de te lancer.
« Tu sais… »
« Oui. Tu as 18 ans & tu aimerais faire autre chose que de t’occuper de tes frères & sœurs, surtout maintenant que tu as obtenu ton diplôme, et que je t’avais promis d’être un peu plus leste une fois ce dernier en poche. »
Tu hoches la tête. Aucun mot n’a besoin d’être prononcé. Vous savez toutes les deux ce que tu désires le plus au monde. Ca avait d’ailleurs été le sujet de bon nombre de disputes, ta mère te rabâchant qu’elle avait besoin de toi à cause du départ de ton père. Ton estomac se contracte encore davantage, alors même que tu n’aurais pas pensé ça possible.
« Je suis dans l’obligation de refuser. »
La phrase claque dans l’air comme l’aurait fait un coup de fouet. Et la douleur cuisante que tu ressens brûle ta peau ainsi que tout ton être. Tu déglutis une nouvelle fois, ayant la gorge incroyablement sèche alors que la fureur lèche ton sang & attise la colère dans ton regard. Ce dernier est empli de larmes difficilement retenues & tes membres tremblent légèrement. Pour seule réaction verbale, tu éclates de rire. Un rire jaune, amer.
« Putain. »
« Sois pol… »
« Alors là, tu peux toujours rêver. Tu brises mes rêves à cause de ton foutu égoïsme ! Parce que tu as voulu faire six gosses sans te préoccuper des conséquences ! Et puis merde ! Dwayne est assez grand pour s’occuper des petites ! Je ne suis pas ton esclave ! » La fureur éclate, créant une atmosphère pesante alors que ta voix gronde. Tu te lèves, renversant ta chaise au passage. Tu as envie de la gifler, de la secouer. La violence dont tu meurs d’envie de faire preuve assombri tes pensées. « Tu sais quoi ? J’en ai rien à battre de ce que tu veux. J’me casse. J’ai 18 ans, tu peux faire quoi contre ça ? Me couper les vivres ? Ah, quelle blague ! Tu m’as jamais rien offert. Oh, pardon, si. Une éducation bancale, parce que t’étais jamais là. Alors que pour les petits, tu trouves le temps de t’arranger. J’ai grandi avec un père absent & une mère qui n’avait pas le temps de me consacrer quelques minutes dans son emploi du temps. Vas te faire foutre ! Quoi que tu fasses, tu m’empêcheras jamais de me casser de ce putain de taudis ! »
Tu retournes à la hâte dans ta chambre, sans avoir rien avalé & attrapes un sac – le plus grand que tu aies – pour fourrer les quelques affaires que tu détiens. Tu attrapes toutes les fringues, du savon, tes affaires de toilette & tout ce qui te semble utile ainsi que les économies que tu étais parvenue à faire. Il est passé onze heures lorsque tu as fini. Tu dévales les escaliers sous le regard ahuri de ta famille & vas te poser dans la cuisine. Tu embrasses les jumelles, Eliott, Willow & fini par Dwayne.
« Petit frère. Promets-moi que tu seras fort & que tu t’occuperas bien de tout le monde. »
Il bombe le torse & affiche un air suffisant qui t’arrache un sourire, alors même que ton cœur se meurt sous la douleur qui l’assaillit. Tu voulais l’accord de ta mère pour partir en toute sérénité… Et bien tant pis.
« Je t’aime fort. Si tu as besoin de quoi que ce soit, contactes-moi. Lorsque je serai arrivée à la destination que je souhaite, je t’enverrai une lettre avec mes coordonnées. Fais attention à tout le monde. Et tu donneras ça à maman de ma part, s’il te plaît. »
Tu lui tends une lettre avant d’embrasser son front. Les larmes ruissellent le long de tes joues – autant par joie d’avoir l’opportunité de réaliser ton rêve que par le déchirement de te séparer de ta famille – alors que tu te lèves & quitte la maisonnée, sans un regard en arrière.
Chap. Two.Un éclair zèbre le ciel, un peu trop proche de toi à ton goût. Sa lumière t’aveugle quelques instants alors que tu te perds dans l’étendue d’eau qui continue jusqu’à perte de vue. Le navire tangue, te forçant à rester à l’extérieur malgré la pluie sous peine de rendre tout ton petit-déjeuner. Tu soupires. Voilà une semaine que tu as quitté le domicile. La douleur est toujours aussi présente, alors que tu aurais parié qu’elle allait étouffer. A chaque battement, à chaque respiration, ton myocarde se serre en envoyant une slave de souffrance dans tous tes membres. Tu te remémores ce que tu avais écrit pour ta mère.
Chère maman,
Je suis désolée. Désolée de ne pas être celle que tu voulais, désolée d’être l’échec le plus cuisant de tes jours. Désolée aussi d’avoir balancé toutes ces horreurs… Mais le pire dans tout ça, c’est que j’ai pensé tout ce que j’ai dit. J’étais lucide malgré la colère. J’adore mes frères & sœurs. Mais la vérité, c’est que je les jalouse, tous autant qu’ils sont. Parce que j’ai 7 ans d’écart avec Dwayne & que je ne me souviens pas avoir obtenu un quart de ce que tu lui as donné. De l’amour, de l’attention, de l’espoir…
Moi, je n’ai rien eu de tout ça. Tout reposait sur mes épaules. Et je suis sûre que tu penses que c’est de ma faute si papa est parti. Parce que c’est moi qui l’ai côtoyé le plus longtemps, parce que c’est de moi qu’il était proche… Parce qu’au fond, il m’aimait plus que toi. Moi, je comprends pourquoi il s’est barré. Et tu sais quoi ? Je mettrais ma main à couper que tu vas être abandonnée par tous tes enfants. Parce que t’es rancunière & que tu es jalouse de notre jeunesse.
Si je peux te donner un conseil… Et je sais déjà ce que tu te dis : « Mais quelle arrogante, celle-là ! Je suis sa mère & elle me donne des conseils ! ». Eh bien apparemment, tu en as besoin. Et donc, si je peux te donner un conseil, ce serait de profiter de ce que tu as, pendant que tu l’as encore.
Bonne chance pour te débrouiller sans ton vilain petit canard.
Siwan.
Un message empli de rancœur & d’amertume. Tu l’aimais, & tu estimais que tu aurais dû l’écrire à la fin de la lettre… Mais tu ne l’avais pas fait. Par arrogance, par fierté. Tu étais blessée, & tu avais voulu la blesser aussi. Une réaction puérile qui prouvait bien que tu n’étais pas capable du tout de te gérer.
Une sonnerie retentit. Le bateau ralentit, jusqu’à ce que l’ancre soit jetée. Le temps n’est pas vraiment au beau fixe… Mais en venant en Angleterre, tu savais bien que tu n’allais pas attraper des coups de soleil. Tu attrapes ton balluchon & sors de l’engin, accueillant les goûtes d’eau venant du ciel sur ton visage, rafraîchissant tes ardeurs. Tu espères qu’elles parviendront à effacer ces regrets & cette déception que tu ressens, autant à l’encontre de ta famille qu’à l’encontre de ta personne. Ton cœur semble peser une tonne – au moins – dans ta poitrine. Tu te diriges vers la route la plus proche & fait de l’auto-stop. Il ne te faut attendre qu’une vingtaine de minutes pour que l’on te prenne.
« Où est-ce que vous allez ? »
« Bonjour & merci de me prendre ! Je ne sais pas vraiment… Où est-ce que vous allez ? »
« A Kingsbury. »
« Ce sera parfait dans ce cas, merci. »
Tu le gratifies d’un sourire & il redémarre. Pas très loquace, tu te méfies un tantinet. Mais le trajet se passe bien, et dans le silence. Vous arrivez à destination & tu le quittes. Après avoir passé quelques jours dans les environs, tu décides de reprendre la route. Les habitants parlaient beaucoup d’un village très sympathique nommé Kingsbury, dans l’Est. Et ce dernier t’intriguait. Alors tu allais t’y diriger.
Sur le trajet – que tu effectues à pieds, dormant dans des hôtels miteux à la nuit tombée – tu tombes sur un jeune homme, de deux ans ton aîné. Vous parlez de choses & d’autres, vous liant sans pour autant parler de choses personnelles. Sa compagnie ne t’est pas désagréable – elle l’est toujours plus que la solitude – et il est vrai que vous avez quelques points communs… Dont la fâcheuse habitude d’être considérés par la populace comme des personnes « chiantes & agaçantes » voire difficiles à vivre. Avec ton caractère de cochon & son arrogance mêlée à son égocentrisme… Il arrive d’ailleurs plus d’une fois que vous en veniez aux mains, non sans tenter de vous étriper. Il devient quelqu’un que tu apprécies mais que tu ne reverras sans doute jamais. Et la surprise est de taille lorsque tu te rends compte qu’il va, lui aussi, à Kingsbury. Il t’avait confié aller dans l’Est, mais tu n’avais pas pensé que vous auriez la même destination. Arrivé à l’entrée de la ville, tu te postes devant lui – entre lui & l’entrée, en fait – et mets les mains sur les hanches.
« C’était… Sympa. Je ne pensais pas que nous allions dans la même direction… Peut-être qu’on pourrait aller boire une bière ensemble un de ces quatre ? Tu restes ici pour combien de temps ? »
« J’ai pas prévu de repartir pour le moment. Allez, avoues… Je te plais & tu veux qu’il y ait quelque chose entre-nous ! Pour la bière, y’a pas de soucis. T’es plutôt mignonne aussi… »
Tu soupires. Il t’agace. Mais le fait de te dire que tu as un ami dans la ville où tu comptes passer quelque temps te rassure, alors tu fermes ton clapet & lui adresses un sourire, avant d’avancer & de prendre un chemin différent du sien.
[…]
Quelques semaines voire quelques mois passent sans que tu ne croises son chemin. Un soir, alors que tu travailles dans un bar en tant que barmaid, il s’installe au comptoir & te fixe. Il semble ne pas te reconnaître, mais tu n’as pas particulièrement envie de te confronter à nouveau à son caractère si… Spécial & agaçant. Puis, d’un coup, un sourire suffisant apparaît sur ses lippes & il attrape ta main, que tu avais posé sur la surface boisée.
« Eh ma jolie. On s’est déjà vus, non ? Ca ne te dirait pas d’aller boire un verre avec moi, plus tard… ? Quand tu ne travailles pas. »
Tu tentes de reprendre ta main mais il la garde fermement dans sa grande paluche. Tu affiches un air agacé, et pourtant… Tu n’arrives pas à dire non. Il est très séduisant, c’est un fait. Et il dégage quelque chose d’incroyablement dangereux qui aiguise ton envie de lui, de le connaître & de le côtoyer. Alors tu acceptes, ne sachant comment résister à ce regard d’obsidienne qui semble si avide de toi, & qui semble pouvoir s’emparer de ton âme en un battement de cils. Tu imagines déjà ce que t’aurait dit ta mère :
« Equinoxe, tu ne devrais pas céder à tes pulsions & accepter les invitations de garçons que tu ne connais pas. Beaucoup sont mal intentionnés. »
Mais comme pour lui prouver qu’elle a tort, tu risques ta vie. Et puis, tu as 18 ans… Tu estimes être assez grande pour t’occuper toi-même de ton cas. Alors, il t’invite à le rejoindre dans un bar – pas celui où tu travailles – le vendredi suivant, à 20h pétante. Et c’est ainsi que votre relation débute, tumultueuse & pourtant incroyablement intense. Tu ne pensais vraiment pas pouvoir éprouver de tendres sentiments pour lui. Mais le fait est qu’ils sont là : Tu l’aimes. Vous habitez même ensemble, bien que tout ne soit pas toujours facile. Tu as un seuil de résistance très peu élevé face à la porcherie qu’est votre appartement – il ne range pas grand-chose – et face aux secrets qui l’entourent. Néanmoins, tu fais des efforts & la femme romantique dissimulée sous ton caractère bien trempé est certaine qu’il s’agit de l’homme de ta vie.
Elle se trompait. Quelques mois plus tard, alors que la lune éclaire la ville de son rayon argenté, ses courbes rondes attirant indéniablement le regard, tu te promènes dans les bois lorsqu’un bruit attire ton attention. Un bruit de branchages que l’on aurait cassé. Kingsbury t’a toujours parût incroyablement sûre, et pourtant, ton cœur accélère ses battements & tu ressens un peu de peur. Une silhouette sombre avance vers toi. Tu tâtonnes tes poches à la recherche de quelque chose de coupant, bien trop effrayée par ce que la chose pourrait-être. Cela ressemble à un humain, mais les grondements sourds qui proviennent de sa gorge ne font rien pour te rassurer. Tu n’as rien, pourtant. Alors tu fais la seule chose qui te semble intelligente : Tu prends les jambes à ton cou & tu cours de tout ton soul, jusqu’à ce que tes poumons aient l’air de brûler vifs & que tu agonises. Mais la créature te rattrape, & ses dents – bien plus aiguisées que tu ne l’aurais cru – plongent dans ta chair. Elles arrachent des bouts de peau sur ton bras, qui se couvre d’un voile carmin. Tu cries, encore & encore, jusqu’à ce que la douleur & la peur fassent apparaître un brouillard de plus en plus opaque devant tes yeux. Et tu tombes dans les pommes.
[...]
Tu te réveilles alors que les rayons dorés de l’Astre Solaire caressent ta peau, offrant une douce chaleur dans ton être. Pourtant, une partie de ton anatomie reste incroyablement froide. Et alors que les méandres des rêves se dissipent doucement, la douleur remonte en flèche. Tu hurles avant même que tes prunelles soient débarrassées de tes paupières.
« Mon Dieu ! AHHHH. C’est horriiiiible… »
Un rire retentit à côté de toi & une main chaude passe sur ton visage, retirant des mèches de cheveux trempées de sueur dues à la résistance dont tu dois faire preuve face à la souffrance qui déchire ton bras. Tu ouvres les yeux & te lèves d’un bond, non sans tenir ton bras ensanglanté grâce à celui qui est encore entier. Les larmes ruissèlent le long de tes joues alors que tu jettes un coup d’œil aux dégâts. Ton avant-bras est à vif, privé de la protection que te conférait ta peau. Dans l’étendue écarlate demeurent des trous aussi profonds que ton index ou presque, et facilement aussi larges que ton pouce. Tu réprimes un énième cri, et tu sens les battements affolés de ton cœur dans cette partie de ton corps, résonnant comme des tambours. Tu te mords la lèvre inférieure jusqu’au sang pour éviter de montrer davantage de faiblesse. Un voile persiste devant tes prunelles, créant une vision floue de l’endroit dans lequel tu es. Mais la forme humaine que tu perçois n’a pas besoin d’être nette pour que tu le reconnaisses…
Ton petit-ami. Maddox. Un sourire flotte sur ses lèvres, que tu distingues malgré tout. Tu fronces les sourcils, bien déterminée à l’étrangler s’il ne t’aide pas. De ton bras intact, tu le pousses, trop agacée par la douleur qui ne cesse d’augmenter & de vriller tes tempes. Tu as besoin d’un bandage, peut-être même d’une transfusion… Ton os n’a pas l’air brisé, mais ça fait tellement mal pu… naise !
« Qu’est-ce que tu fais ici ? Appelles un hôpital. »
Demandes-tu, pleine d’animosité. Il rit aux éclats. Tu hausses les sourcils, un sourire nerveux étirant le coin de tes lèvres. Tu ris étrangement avec lui avant que la fureur ne déforme tes traits.
« Pourquoi tu te marres ?! Tu te crois drôle, à rire sans raison ? Tu te crois malin ?! Tu me fais flipper. M’approches plus. »
Tu tournes les talons – et attrape tes chaussures, préalablement enlevées, pour mieux marcher dans les feuilles mortes – sans un regard en arrière. Il te débecte, à ne même pas s’inquiéter de ta santé & à se marrer comme ça, comme un fou… Il attrape ton bras – celui qui est naturellement douloureux – te forçant à faire volte-face. Tu le jauges d’un regard meurtrier & empli de dédain, mais une larme coule le long de ta joue. Ses doigts s’enfoncent dans ta chair à vif, meurtrissant encore davantage ton être.
« Tu es censée être reconnaissante. » Dit-il d’un ton incroyablement sérieux qui ne fait que t’effrayer davantage. « Je t’ai fait un cadeau d’une valeur inestimable… Parce que je t’aime. »
« Reconnaissante ? Reconnaissante de quoi ?! » Ta voix part un peu trop dans les aigus. Tu marques une pause, riant à gorge déployée malgré la douleur. « Un cadeau ? Et quoi donc ? Être là lorsque je me réveillerai alors que je me suis sans doute vidée de mon sang ? T’es taré. »
Il raffermit sa prise, te faisant couiner légèrement. Tu tentes – quand bien même tu dois faire un effort incommensurable – de te dégager, mais il est plus fort que toi. Tu déglutis, ne voulant pas lui donner la joie de montrer que tu souffres ou de tomber dans son jeu macabre.
« C’est moi qui t’ai fait ça. » Il pointe ton bras d’un signe de tête avec un air suffisant. « C’est chouette, pas vrai ? »
« Chouette ? Et comment ça pourrait être toi ? T’as pas des dents assez longues… Tu dérailles. »
Ta voix est emplie de dédain & de dégoût. Tu lui craches dans le visage, & il desserre légèrement les doigts. Tu en profites pour t’en aller en courant, ne sachant pas réellement où tu pourras t’enfuir. Il te rattrape en quelques enjambées & attrape ta jambe. Tu tombes face contre terre, voyant trente-six chandelles… Mais restant éveillée. Il te retourne pour que tu le regardes. Et tu résistes à l’envie irrépressible de crier en voyant son visage déformé et si différent.
« Maintenant, tu es comme moi. Pas pour le moment, mais bientôt… Ton corps changera. Et tu seras dans l’obligation de suivre certaines règles. J’ai fait ça pour nous. Pour que nous soyons ensemble dans l’adversité… Et pour ne plus rien avoir à te cacher. »
« Et tu es… Quoi au juste ? »
« Ca ne se voit pas ? Un Loup-Garou. Allez, lèves-toi. J’ai promis à l’Alpha de te montrer à lui. Après tout, tu rejoindras bientôt la Meute… »
« La Meute ? Un Loup-Garou ? Mon pauvre gars, t’as trop regardé Twilight. Alors, il est où, Jacob ? C’est lui ton maître ? »
Tu pouffes de rire, oubliant un instant la douleur mordante à ton bras. La colère pétille dans ses yeux devenus jaunâtres & tu te tais. Il est vraiment effrayant comme ça, & vu ce qu’il t’a fait – si ce qu’il te dit est vrai… – tu n’as pas très envie de découvrir s’il serait capable de te tuer. Alors tu hoches la tête doucement, craignant que le moindre mouvement ne cause ta perte. Son visage se radouci & un sourire apparaît sur ses lippes qui n’ont plus rien d’attirant à tes yeux. Tu as
couché avec ce… Truc. Mon Dieu.
« Ecoutes. Ca fait beaucoup d’infos à digérer là… On pourrait pas aller voir ton « Alpha » un peu plus tard ? J’aimerais me reposer, & panser la blessure. Ca fait un mal de chien quand même, tu m’as pas loupée. »
Il rit un instant – ce qui a pour effet de te mettre les nerfs à vif – avant de réfléchir. Il lâche ta jambe mais tu le crains bien trop à présent et tu n’es pas assez rapide pour tenter le Diable. Vouloir survivre c’est une chose. Être totalement folle & risquer sa peau, c’en est une autre. Tu as beau être caractérielle & indomptable, tu ne comptes pas arrêter de vivre si tôt. Mais tu ne te rends pas encore compte de ce que signifie ta nouvelle condition… Tu imagines ça comme être un Superman des temps modernes, en carrément plus poilu.
« Bon, d’accord. Je vais lui téléphoner & lui dire qu’on passera ce soir. Ca te laissera le temps de te faire belle & de cacher cette vilaine plaie. »
Intérieurement, un tas de pensées loufoques te passent par la tête. « Tiens, les Loups-Garous ne peuvent pas communiquer mentalement ? », « Il y a du réseau dans ce trou paumé ? », « Il ne va pas essayer de me manger pendant que je me changerais & me nettoierais ? » & pour finir… « Comment je vais bien pouvoir me débarrasser de ce fils de… ? ». Mais tu ne dis rien, attendant qu’il ait fini de parler dans le combiné. Une fois l’appel terminé, il t’aide à te relever & perd son vilain visage, redevenant le garçon que tu avais aimé & pour qui tu ne ressentais plus que du mépris. Mais tu n’affiches rien qu’un sourire, lui faisant croire que tu es heureuse de sa présence. Il te raccompagne jusqu’à chez vous & tu passes le reste de l’après-midi à te doucher, t’habiller de la robe de soirée qu’il avait préalablement acheté pour cet évènement & à faire disparaître le sang séché.
[…]
L’heure fatidique arrive bien trop vite à ton goût. Ton myocarde se contracte sous l’appréhension alors que, élégamment vêtu, Maddox arrive en te tendant son bras. Tu acceptes ce dernier avec une once de dégoût & grimpes dans la voiture chic qui attendait au bas de l’immeuble. Le trajet se passe en silence, étant donné que tu n’oses pas poser des questions avec un intrus à l’avant. En plus de ça, tu ne parviens toujours pas à croire le baratin de ton amant. Le voyage est rapide, tant et si bien que tu es surprise de constater l’arrêt si rapide de la voiture. Un gorille – façon de parler, hein – ouvre ta portière & ne laisse pas vraiment place à la discussion, tant son visage buriné & antipathique empêche même de désirer de prononcer un seul mot. Et vu la taille de ses mains, il pourrait t’étrangler avec une seule. Alors tu laisses ta langue bien trop pendue dans ta poche & descends. La bâtisse est richement décorée &, sans paraître arrogante ou étouffante, dégage une certaine prestance qui te glace le sang. Maddox arrive derrière toi & place son bras autour de tes hanches, chose qui te fait frissonner… De peur.
« On est la Meute de la Ville. Il y en a d’autres, mais elles sont moins fortes & ont moins d’impact. Allez, en avant. »
Il ne te laisse pas trop le choix, te poussant légèrement d’une main impérieuse. Tu gravis quelques marches & Maddox sonne à la porte. Un homme sans âge vous ouvre la porte & tu devines à son expression qu’il ne s’agit-là que de ton hôte. Un frisson te parcourt l’échine, & tu devines qu’il n’est pas de très bon augure. Tu as toujours eu beaucoup d’intuition. Il affiche un sourire dont tu te serais volontiers privée. Il vous laisse entrer, & tu sens à ce moment là que tu es pieds & poings liés… Dans la gueule du Loup. Tu as l’impression d’être un agneau s’étant trop aventurée dans une forêt loin d’être paisible & sûre.
Murmures-tu. L’homme te jette alors un regard & son sourire ne fait que s’élargir. « Que vous avez de grandes dents mère-grand… » « C’est pour mieux te manger, mon enfant ! ». Exactement. Tu n’aurais pas mieux dit. Mais apparemment… Tu étais des leurs. Alors il n’y avait aucune raison que tu aies une autre blessure, comme celle se cachant sous les bandages immaculés. Il t’amène vers le salon, tout aussi raffiné que le reste, et s’assoit dans un canapé qui te fait davantage penser à un trône.
« Alors comme ça, vous êtes des nôtres à présent… » Il te détaille des pieds à la tête & tu ne peux t’empêcher de te dandiner & de rougir sous son regard. Tu déglutis, moment qu’il choisit pour reprendre la parole. « Asseyez-vous, je vous en prie. Promis, je ne mords pas… »
Un sourire carnassier se dessine sur ses lèvres & tu résistes à l’envie de rire de l’ironie de la situation. Si les Loups ne mordaient pas, ça se saurait. Et plus tu passais de temps dans cet endroit, plus tu pensais que Maddox t’avait dit la vérité. Mon Dieu. Tu seras donc aussi hideuse que lui… Mais ton hôte t’empêche de demeurer trop longtemps dans tes pensées loufoques.
« Je suis absolument ravi de vous compter parmi nous, délicieuse Siwan. »
Son sourire n’a pas quitté ses lèvres. Le fait qu’il connaisse ton patronyme t’interpelle & t’inquiète. Tu aurais préféré qu’il ne le sache jamais.
« Le plaisir est partagé, Monsieur. »
Tu tentes de sourire, mais tes lèvres ne bougent pas d’un poil, pétrifiées qu’elles sont par la prestance de l’homme. Le reste de la soirée se déroule sans encombre, bien qu’il t’ait assommé d’un tas de questions te concernant. Il devient donc en quelques heures incollables sur le sujet « Equinoxe Siwan Deathrow ». Chouette. Tu ne sais pas pourquoi, mais tu étais incapable de te soustraire à ses questions ou de lui mentir. Alors tu répondais. Il avait assez d’infos pour tuer toute ta famille & te faire souffrir mille tourments. Il serait ton meilleur ami, ce serait certain, & tu lui obéiras au doigt & à l’œil. Lorsque vous quittez la bâtisse, c’est le cœur vide pour toi & l’air satisfait pour lui & Maddox. Tu es perdue, & tu le sais. Alors que vous passez le perron, l’Alpha te hèle. Tu te retournes alors & il s’approche de toi pour murmurer à ton oreille :
« Faîtes attention à la Pleine Lune… Elle peut être redoutable, tout comme la colère. Je suis certain que vous nous serez utile. N’hésitez pas à passer quand vous voulez. Mi casa es tu casa. »
Tu hoches la tête, incapable de répondre quoi que ce soit tant l’effroi glace tes membres. Il s’éloigne alors & tu trouves le courage de bouger à nouveau, tentant de garder un pas tempéré alors que tout ton être te crie de courir jusqu’à la voiture tant que tu le peux encore. Tu t’enfermes ensuite dans l’habitacle & regarde par la fenêtre tout le long de la route. Maintenant, tu étais incollable sur le sujet « Loup-Garou ». Vous aviez fait un échange de bons procédés… Sauf qu’il avait beaucoup plus de moyens de pressions sur toi que tu n’en avais sur lui. Et il avait omit de te parler des moyens de tuer quelqu’un de ton « espèce ». Pourquoi l’aurait-il fait, au fond… ? Vous arrivez chez vous & tu vas te coucher directement, pour passer une nuit hantée de cauchemars en tout genre, ne voyant que deux yeux luisants & une gueule béante qui te menacent pour finalement t’engloutir dans leurs profondeurs.
Chap. Three.Ses rondeurs captivent ton regard. Ta bouche devient moite sous ses rayons albâtres qui glissent sur toi comme une feuille sur l’eau. Si la moindre envie de fixer de tes prunelles un autre élément du décor survenait, tu sais dès lors que tu ne serais pas capable de bouger d’un millimètre. Tu sens alors quelques changements : Tes gencives te démangent & se font soudain plus douloureuses alors qu’elles se percent davantage pour que tu accueilles des crocs. Quant à tes mains… Tes ongles ont beau être naturellement longs, ils le deviennent bien plus. Et tu les devines presque aussi tranchants qu’une lame de rasoir. Cela devrait t’effrayer… Mais tu ne ressens qu’un profond besoin d’enfoncer ces nouveaux attributs dans de la chair fraîche, ainsi que l’adrénaline qui court dans tes veines. Si tu te trouvais face à un miroir, tu pourrais déceler également la couleur ambrée de tes prunelles. Ton cœur accélère & tu renifles l’air, obnubilée par une seule & unique chose : La vengeance.
Tu restes debout, courant à travers bois pour rejoindre celui pour qui ton cœur bat… Celui qui t’a transformé. Celui que tu as aimé. Celui qui t’a
trahie avec ce Don, qu’il pensait d’ailleurs si merveilleux. Ta course est effrénée, & ton myocarde n’envoie plus de sang dans ton organisme que pour que tu satisfasses le besoin de plonger tes griffes & ta dentition dans sa chair. Que tu arraches son cœur & le détruise dans le creux de tes mains. Jamais tu n’as senti de pulsions aussi destructrices & violentes qu’en cet instant… Et le pire dans tout ça ? Tu aimes cette puissance qui court dans tes veines, réchauffant l’entièreté de ton organisme, hérissant de plaisir les poils de ton échine. Tu ne t’es jamais sentie aussi forte, aussi maîtresse de toi & de ton destin. Tu arrives finalement là où son odeur se trouve. Car ton nez semble avoir acquis également d’autres facultés… Et tu sais faire le tri entre les différentes odeurs présentes pour ne te concentrer que sur celle de Maddox.
Heureusement, il ne se trouve pas en pleine ville… Et quand bien même : Tu ne te serais pas contrôlée. Tu suis la piste jusqu’à un caveau où il est emprisonné, les mains enchaînées. Un sourire mauvais se dessine sur tes lippes charnues avant que tu ne lui jettes un signe de tête.
« Hey, chéri. »
« Ma douce… Qu’est-ce que tu fais là ? »
Tu t’approches de lui & plaque ta bouche contre la sienne avec violence, avant de te reculer, le souffle court. La lueur brillant dans les prunelles de ton amant ne font qu’étirer le sourire lugubre qui barre tes lèvres. Il te dévore du regard. Objectif atteint.
« Où est la clé ? »
« Je ne veux pas sortir. Ce n’est pas prudent. Tu devrais être attachée aussi… »
« Si nous sommes attachés, mon programme pour ce soir sera beaucoup moins réjouissant… »
Ta voix est traînante, ne faisant qu’attiser le brasier du bas ventre du jeune homme. Il te désigne un coffret balancé dans un coin & tu t’y précipites, attrapant la frêle chose pour ensuite le libérer. Tu te mets presque aussitôt en position de combat, l’agressivité suintant par tous tes pores. Il te jette un regard interloqué, et au moment même où il ouvre la bouche pour te demander ce qu’il se passe – sans doute, tu n’en sais rien – tu bondis sur lui, toutes griffes & crocs dehors.
Il n’est malheureusement pas assez inexpérimenté pour se laisser faire. Il se met trop rapidement en position défensive, esquivant avec facilité chacun de tes coups maladroits. Un grognement provenant de ta gorge s’échappe, mourant dans l’air avec un écho meurtrier.
« Qu’est-ce qui te prend… ? J’aime les femmes qui tentent de dominer pendant l’acte, mais tu sais comment les choses finiront : J’aurai le dessus. Et tu adoreras ça. »
L’arrogance qui se dégage de lui te fait monter la bile dans l’œsophage. Tu lui ris au nez, attaquant une nouvelle fois, avec un peu plus de détermination. Tu parviens seulement à lui griffer la joue – assez profondément néanmoins – & à lui casser le nez. Le bruit du craquement de l’os te fait frissonner de délice. Il fronce les sourcils, & la même lueur meurtrière qui persiste dans tes prunelles arrive jusqu’aux siennes. Il ne sourit plus, n’est plus arrogant le moins du Monde. Il a comprit que tu cherchais à le tuer, & n’est pas décidé à se laisser faire… Peut-être envisage t-il même de te mener jusqu’à la Faucheuse. Il n’y parviendra pas, tu t’en fais la promesse.
Quelques longues minutes de combat passent encore, vos vêtements se déchirant de plus en plus sous l’assaut de vos griffes & de vos dents, votre peau se zébrant de plus en plus de traînées écarlates. Mais soudain… Un coup de feu retentit. Tu te crispes, tandis que lui sursaute & tourne la tête en direction du bruit, les sens aux aguets. Tu y vois une ouverture & fonce aussi vite que tu le peux sur lui, enfonçant tes crocs dans sa gorge. Puis tu tires un grand coup… Et lui déchiquète l’œsophage. Un geyser de sang s’en échappe, t’éclaboussant le minois, lui donnant un air funeste. Tu recraches le liquide qui a envahi ta bouche – bien que le sang soit délicieux sur ta langue, mais tu t’y refuses & la partie Humaine qui subsiste en toi s’insurge de sa présence. Tu donnes un coup de pied rageur dans le corps inerte, toujours secoué de spasmes néanmoins alors que le sang coule à profusion, créant une marre écœurante autour de lui, avant de quitter l’endroit sans un regard en arrière.
Tu passes les quelques heures suivantes – attendant l’aube avec une certaine impatience, le sang poisseux créant une sensation désagréable sur ta peau – à éviter la ville, devinant qu’il ne serait pas judicieux de t’y rendre & traînassant donc dans les bois. Tu tues même un ou deux daims qui passaient par là & dont la chair semblait trop exquise pour que tu passes à côté. Tu t’endors finalement, jusqu’à ce que les doux rayons du soleil caressent ta peau.
[…]
Tu ne te souviens même plus de la manière dont tu es rentrée chez toi. Tout ce que tu sais, c’est que tu t’étais écroulée sur ton lit & avait continué ta nuit. A moins que tu ne l’avais commencée… A présent que les derniers restes du sommeil s’échappaient, tel du brouillard entre tes doigts désireux de faire durer le plaisir, des vaguelettes de douleur se fraient à travers ton corps pour alarmer ton cerveau. Tu bats faiblement des paupières & étire tes bras, qui hurlent à la mort leur souffrance. Tu grimaces &, une fois les yeux débarrassés des restes de la poussière du Marchand de Sable, étudie ton corps. Les bleus sont déjà apparus ça & là, lorsqu’il n’y a pas de sang séché. Tu te rends jusqu’à ta salle de bain & faillis faire un bond en arrière en voyant ton visage. Le sang séché crée un masque épais sur toi, donnant un air dangereux à tes traits pourtant si doux. Tu t’empresses de le nettoyer, ainsi que le reste de ton corps perclus d’ecchymoses & vas t’habiller.
En assassinant l’homme avec qui tu partageais ta vie – parce que tes souvenirs de la nuit précédente sont étonnamment clairs – tu te rends compte que tu as également perdu une chose fondamentale : Cet appartement. Tu n’as pas assez de revenus pour le garder. Tu envisages un instant de demander de l’aide à l’Alpha & songe que ce ne serait pas une bonne idée de lui être redevable. Surtout que tu ne comptes pas être un bon toutou obéissant & que tu l’as privé de l’un de ses membres. Alors tu prends les quelques affaires qui t’appartiennent, laissant l’appartement avec les choses appartenant à ton ex, & quitte l’endroit. Tu t’empresses de chercher un hôtel miteux où séjourner, le temps de te trouver une grotte ou un endroit un peu plus confortable – sans être luxueux – où survivre.
Néanmoins, une question ne cesse de repasser en boucle dans ta tête : « Serait-ce sage de chercher à survivre ? Ne serait-ce pas mieux de te laisser dépérir ? ». Tu décides que non. Mais les jours suivants, les mois qui passent, tous sont plus difficiles les uns que les autres. Cette malédiction t’empêche de vivre comme tout le monde, & en raison du meurtre que tu as commis – car c’en est un – tu ne penses qu’une chose : Il est impensable de te laisser en liberté les soirs de pleine lune. Tu apprends également que l’agacement croissant & la fureur ne font qu’accentuer ton envie de plonger tes doigts dans la poitrine de quelqu’un pour arracher son cœur encore chaud. Alors tu te reclus peu à peu.
Les années passent. Elles affirment dans ta peau les changements & la vieillesse, faisant apparaître quelques fines rides & une expression beaucoup plus sage dans tes grands yeux bleus. Et pourtant… Tu es toujours cette même gamine impulsive & de plus en plus réservée voire méfiante. Tu as bien compris que tu ne devais pas afficher au grand jour la malédiction qui pèse sur toi… Les Chasseurs, que la malédiction soit désirée & aimée ou non, sont bien trop impitoyables pour que tu te permettes d’en jouer. Et plus le temps passe, plus tu es lasse de – chaque mois – cacher ta nouvelle identité. Tu es lasse, aussi, d’être devenue un Monstre. Lorsque tu te regardes dans le miroir, tu ne vois plus une femme. Tu vois celle qui se cache derrière ton minois angélique & qui ressort dès lors que la colère pulse dans tes veines. Il est même étrange que tu restes séductrice alors que tu ne
t’aimes pas. Tu hais Maddox pour ce qu’il t’a fait, & sa mort n’arrange en rien la douleur d’être ce que tu es. C’est même pire : Tu as du sang sur les mains.
Dans tous les cas, tu survis grâce au même emploi que tu avais en arrivant : Barmaid. Gravir les échelons ? Ca n’a pas l’air d’être le maître mot de la maison. Mais tu t’y plais, et ils sont assez souples concernant tes horaires, surtout lors de la pleine lune, où tu demandes congé. Ta vie est loin d’être trépidante ; mais c’est la tienne. Tu utilises les hommes pour tes besoins primaires, ne leur faisant plus confiance du tout. Profondément meurtrie par cette trahison, tu es devenue ce que tes semblables appellent « Omega ». Un loup solitaire, en quelque sorte… Faible en raison des blessures qui ravagent ton myocarde, & faible de par ta solitude. Avec ce changement d’ « espèce », tu as perdu tout espoir de réaliser ton rêve le plus cher. Tu es brisée, comme un corps s’échouant sur une falaise.